Le sang du foulard

Le sang du foulard

Une attaque des Ayacks ! Une aventure vécue par un scout de 16 ans...

Une attaque des Ayacks ! 

Récit d'une aventure vécue

par un scout de 16 ans...

 

par Chelmi

 

Compilation en format "page" du texte de Chelmi avec les illustrations de Françoise (voir le forum "scoutisme"). Remise en forme et correction avec la précieuse collaboration d'Elephant! Inestimable contribution du petit Brice pour la "reconstitution graphique" des messages des Ayacks!

 

 

Avant-propos

 

Voici donc une – très longue – anecdote à la croisée de mon vécu scout et de la question de la littérature scoute. L'histoire se passe en juillet 1990. À cette époque je suis CP de la patrouille du Jaguar dans la jeune Troupe St Jean Baptiste du groupe SUF 1ere Tours (Ste Jeanne d'Arc). En réalité, l'histoire m'avait tellement marqué à l'époque qu'en rentrant de ce camp scout j'avais pris la plume pour écrire tout cela sous forme de nouvelle longue (ou roman court !). J'ai démarré, le temps a passé et ça s'est arrêté là. Mais pour le début de l'histoire je vais recopier ici ce que j'avais écrit à l'époque et on verra pour la fin ! Attention c'est sans filet, sans réécriture, j'avais 16 ans à l'époque, soyons indulgent !

 


I

Tous les CP (1) étaient au Kraal (2), attendant le début du CDC (3) Sûrement auraient-ils pu penser qu'ils étaient mieux là, à l'ombre, sur les bancs made in maîtrise, que dans leur coin de patrouille pas encore épargné par les rayons du soleil de 18h où les patrouillards (34 s'activaient pour allumer un feu pour le repas du soir. Mais leurs pensées étaient en fait tout autres. Après demain soir, il fallait que toutes les installations soient terminées pour l'inauguration. Et cette année, on faisait bien les choses : toute la famille des propriétaires serait là pour cette inauguration, aucune fausse note n'était permise.

 

C'est dans cet état de quiétude et de réflexion qu'Henri trouva nos CP et le reste de la maîtrise. Henri était l'un des trois assistants de la troupe St Jean Baptiste avec Stéphane et Anthony, mais cette année il avait, en plus de la lourde tâche d'être assistant, la non moins lourde responsabilité de l'intendance du camp. Lourde tâche en effet puisqu'il avait en réalité la responsabilité de l'intendance de deux troupes. En effet, cette année là, en raison de la sécheresse, les lieux où on pouvait faire du feu étaient rares, et deux troupes du groupe avaient du se réfugier chez le même propriétaire qui d'ailleurs recevait régulièrement des troupes scoutes sur ses terres en été.

 

Bref, puisque Henri était enfin arrivé, le CDC pouvait commencer : tour de table rapide sur le moral dans les patrouilles ; trois jours de camp n'avaient pas encore réussi à fatiguer nos vaillants éclaireurs tant moralement que physiquement. Vint ensuite la question cruciale : les patrouilles seraient-elles prêtes pour l'inauguration en grande pompe. Apparemment de ce côté là aussi le moral était bon. On aurait bien sûr besoin de la journée de demain pour terminer les installs et celle d'après demain pour les finitions mais tout était déjà fort bien avancé. Tout était donc parfait, le programme du lendemain semblait clair et les CP voyaient donc venir le moment de retrouver leur patrouille.

— Attendez ! S’écria soudain Henri. En revenant de l'intendance je suis passé chez les propriétaires pour prendre le courrier. Je vais le donner par patrouille et vous redistribuerez à vos gars. Alors… un paquet pour le Renard, une lettre pour les Panthères, une pour le Jaguar et rien pour les Loups… Le reste c'est pour l'autre troupe… Tiens, il reste une lettre sans nom!

Cela arrivait parfois, des parents étourdis oubliaient tout simplement d'inscrire le nom de leur bambin sur l'enveloppe. Le seul moyen pour la maîtrise de pouvoir faire suivre était bien sûr d'ouvrir l'enveloppe, ce que fit aussitôt Stéphane en sa qualité d'assistant.

II

Tout le monde était donc resté attendant le verdict de l'assistant. Mais cela ne venait pas… Stéphane lisait la lettre et contrairement aux CP légèrement impatients, il semblait bien s'amuser !

— Alors c'est pour qui ? Demanda Arnaud CP du Renard. C'est pour la maîtrise (5)?
— Pas particulièrement, je dirais plutôt que c'est un gag ! C'est adressé à la troupe "campant au château de la Verne". Mais lisez vous-même.

Évidemment, toujours prêts à s'amuser, les CP étaient déjà entassés autour de la lettre. Et elle n'était pas banale cette lettre ! On pouvait y lire ceci :

 

 

L'écriture semblait celle d'un enfant de 10 ans, la lettre était de plus truffée de fautes, et la feuille semblait avoir été arrachée d'un cahier d'écolier. Elle avait été cachetée à la cire de bougie. La lecture terminée, les boutades fusaient :

— Avec toutes ces fautes c'est sûrement un Renard qui a écrit ça !
— Tu rigoles ! Vu l'écriture de gamin ça ne peut être qu'un chef !
— À tous les coups c'est le départ du grand jeu…

 


Et chacun y allait de son petit mot. Vous pensez, quatre CP avec chacun au moins 4 années de scoutisme derrière eux, il fallait plus que cela pour les impressionner. Ils avaient déjà vu pas mal de choses ! L'avis général penchait incontestablement pour un départ de grand jeu. Seulement quelques détails clochaient ; il était impossible que le grand jeu du camp débute prochainement, les installs n'étaient même pas encore terminées ! Et puis, après cela, suivaient généralement quelques jours d'activités calmes pour se reposer un peu. Alors, pourquoi les chefs s'y seraient-ils pris autant à l'avance ? Mais le plus louche se trouvait dans la dernière phrase de la lettre.

[…] Bonjour tous particulièremant au CP du Loup, du castor et du léopard […]

Les Loups et les Castors, patrouilles de la deuxième troupe, avaient de quoi être flattées d'avoir été citées, mais le CP du Léopard n'aurait pas cet honneur puisque dans aucune des deux troupes ne sévissait de patrouille du Léopard ! Si la lettre était réellement des chefs, peut-être auraient-ils eu le génie de ne citer que des patrouilles existant réellement à la Troupe St Jean Baptiste ou à la Troupe St François Régis ! Mais là un autre problème se posait ; s'il existait bien des Ayacks, comment connaissaient-ils le nom de deux des sept patrouilles campant sur la propriété et comment savaient-ils que nous venions de Touraine ? Et soudain, Nicolas, le CP des Panthères poussa un cri en direction du CT (6) :

— Blast, tu te rappelles hier je t'ai dis que j'avais cru voir des gens sur la colline en face.

 

 

III

Le lieu où campaient les deux troupes était constitué d'une prairie en L, on y accédait par un chemin. De tous les côtés de ce L, la prairie était entourée de collines. À l'intérieur du L la colline était boisée et c'était là que s'était installée la troupe St Jean François Régis. À l'extérieur du L, sur un bord, la colline était boisée et de l'autre côté, il y avait une colline boisée uniquement à son sommet. Entre cette colline et la prairie coulait un ruisseau qui servait de limite à la propriété et au bord de cette rivière, dans le coin du L se trouvait un bosquet d'arbres dans lequel s'était installée la patrouille de la Panthère. Les trois autres patrouilles de la troupe Saint Jean Baptiste étaient en bordure de prairie à distance, la dernière, la patrouille du Loup se trouvant au fond du L entourée sur trois côtés de collines boisées. Nicolas voulait en fait parler de la colline déboisée au pied de laquelle il campait. Les CP se donnèrent une seconde de réflexion et les suggestions fusèrent.

— C'est tout simple, ils nous observent à la jumelle de la colline.
— Ce ne serait pas étonnant, de là haut on doit avoir une vue imprenable sur le camp et avec leurs jumelles ils ont vu la voiture de l'intendant. Avec la plaque ils ont su qu'on venait de Touraine.
— Ce sont sûrement des scouts et ils ont aussi vu les staffs et ont retrouvé le nom des patrouilles avec les couleurs de patrouille, c'est tout simple…
— Mais alors que viennent faire les Léopards là dedans, personne ne porte les couleurs du Léopard ! Et d'abord c'est quoi ces couleurs ?

Mieux que le crobar voici donc la vue aérienne du lieu du drame...

 


1   : Coin du Loup
2   : Coin du Jaguar
3   : Coin du Renard
4   : Coin des Panthères
5   : Coin du Castor
6   : Coin des Aigles
7   : Coin du Puma

8   : Kraal 

9   : Mât

10 : Ruisseau

11 : Position de l'étendard volé

12 : Terrain de thèque
13 : Château de lavergne
14 : Intendance


Aussitôt Stéphane se jette sur son Azimut à la page 'patrouille' et fouille dans la liste des noms de pat' (= patrouilles).

— … Alors… Léopard, voila leur couleur gris et orange.
—  Mais c'est aussi les couleurs du Jaguar ça ! S'écrie le CP de la patrouille en cause
— Pas de doute, notre théorie concorde bien ! De plus les Jaguars et les Loups campent en bordure de prairie et les Castors dans une grande clairière au départ du bois, ils sont donc bien visibles alors que toutes les autres patrouilles sont cachées par des arbres.
— Pas toutes ! Les Renard sont aussi dans la prairie ! S’offusque Arnaud, connu également sous le nom de Gras Mammouth et cela en raison de sa corpulence mais aussi de sa force musculaire et de ses réactions vigoureuses.
— T'énerve pas Gras Mammouth, ils ont p'têt pas vu ton staff que tu cachais avec ton…
— Avec mon ?
— Avec ton … auréole de bonté qui t'accompagne toujours !

La situation était redressée, mais de toute façon, Arnaud n'était pas homme à s'emporter pour si peu, il était d'ailleurs souvent le premier à rire aux plaisanteries faites, quand bien sûr ce n'était pas lui qui les faisait. Toujours est-il que l'affaire avançait bien, il ne restait plus qu'à trouver d'où venaient ces jeunes apparemment scouts. Un coup d’œil rapide sur l'enveloppe donna à nouveau une série d'indices. D'abord le cachet de la poste : c'était celui d'une commune proche de celle où nous campions. Ensuite les scouts remarquèrent que le code postal indiqué dans l'adresse n'était pas le bon et que le lieu dit était également mal orthographié ; apparemment les fameux Ayacks n'étaient pas du coin ! Et puis vu l'écriture et le contenu de la lettre, il n'y avait semble-t-il rien de spécial à craindre. Ainsi les CP repartirent, amusés, dans leur sous-camp.

 

Pendant ce temps, Philippe, le chef de troupe, surnommé Blast pour une raison que seuls les plus anciens du groupe connaissaient, allait porter la lettre à Christophe, vénéré chef de la troupe St François Régis. L'affaire semblait si anonyme que c'est à peine si tous les CP pensèrent à raconter cette histoire à leurs patrouillards. Tous pensaient déjà comment ils allaient organiser le travail du lendemain. Et la journée se termina sur un repas et une veillée qui permirent de souffler quelques temps avant la reprise des travaux d'installation du lendemain.

IV

Le lendemain fut donc une de ces dures journées d'installation que l'on s'empresse d'oublier une fois celles-ci terminées. Comme toutes les journées en camp, le signal du départ fut donné par le célèbre L, lettre prise en grippe par la plupart des scouts, souvent couche-tard mais rarement lève-tôt, le L étant le signal morse pour le L ; L comme Lever. Mais également L comme Lamentations, et les lamentations commençaient tôt en camp puisque le lever, selon la tradition, était sonné à 7h. S'il est vrai que la journée appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors les scouts avaient sans aucun doute possédé beaucoup de journée, et cette journée du 6 juillet était une de celles-ci.

 

Pour sortir de leur léthargie, enfiler une autre tenue que le traditionnel pyjama et pour mettre un brin d'ordre dans leur tente, les scouts disposaient d'environ un quart d'heure. Ils se rendaient ensuite au coin "salle à manger", pompeux nom pour l'endroit qui serait équipé d'ici la fin de journée non seulement d'une table à feu géante pour repas de troupe mais également d'assez de bancs pour accueillir la troupe au complet. Et attention, banc avec dossier s'il vous plaît. Le lieu servait en fait pour le PDDM (7), la veillée et quelques repas pendant le camp qui seraient pris en troupe. Mais cette année, on avait décidé que le midi et le soir, le repas aurait lieu en patrouille.

 

Mais avant de penser à manger, les scouts avaient d'abord à se mettre en forme, ce qu'ils firent ce matin, comme tous les matins, lors du dérouillage ; sorte de gym tonic rituelle. Ce matin, comme d'ordinaire, le départ du dérouillage était au coin salle à manger, cependant l'itinéraire changeait tous les jours. Si un jour on se rendait compte qu'une patrouille ou un patrouillard ne semblait malheureusement pas encore levé, alors l'itinéraire passait par cette patrouille, histoire de la chahuter un peu. Mais le fait était bien sûr rare !

 

 

En ce vendredi matin, on avait décidé de courir sur le chemin d'accès à la prairie et de s'arrêter à la route. Là on fit quelques mouvements d'assouplissement, un petit saute-mouton pour la forme et on revint à nouveau au pas de course. Suivit la toilette, qui cette année, fait exceptionnel, avait vu sa cote de popularité remonter. L'explication de ce phénomène apparemment extraordinaire était en fait simple. Cette année, on disposait de tout un ruisseau pour se débarbouiller. Et demandez à des scouts ce qu'ils préfèrent pour la toilette entre un ruisseau et un jerrican d'eau ; la réponse sera unanime : il est plus facile de faire une bataille d'eau avec le premier qu'avec le second et au moins on n'a pas peur d'être à court de munition!

 

Après les réjouissances aquatiques vint enfin le moment tant attendu ; le PPDM. Et ce matin, comme tous les matins d'ailleurs, les conversations allaient bon train. Quelques-uns évoquaient l'étrange affaire des Ayacks et les plaisanteries fusaient.
— Vous allez voir, les Kayaks attaqueront par la rivière.
— Les Mayas ? C'est pas un peuple Inca d'Amérique du Sud ça ?
— Mais non les Yacks c'est des vaches bizarres au Tibet !

Mais en réalité le sujet de conversation le plus répandu était bel et bien ces fameuses installations :
— Toi t'iras avec le second me couper trois perches de 4 mètres de long et pas du gros diamètre.
— Il faudrait deux gars par patrouille pour finir les bancs de troupe.
— ce soir après le CDC, avec les assistants et les CP on monte le mât. Les CP pensez à amener vos cordes !
— Est-ce qu'une patrouille aurait une tarière de très petit diamètre à nous prêter?

Et chaque CP en profitait pour donner les instructions pour la matinée à ses patrouillards. Le PPDM terminé, il ne restait donc plus qu'à mettre en application ces instructions. Ainsi dans la matinée les Panthères achevèrent leur table. Les plans de départ en étaient peut-être simples mais le résultat final était solide et confortable… que demander de plus ? Les Renards, eux, avaient décidé de mener de front la construction de leur table et leur table à feux et les travaux avançaient bien. De même les deux panneaux principaux de la table du
 

Le coin du Jaguar

Jaguar étaient dressés à la fin de la matinée. Les Loups avaient provisoirement concentré tous leurs efforts sur la table à feu, la recouvrant d'une bonne couche de terre pour prévenir tout danger et se payant le luxe de façonner cette terre pour faire du dessus de leur table un ensemble fort ingénieux. Du côté de la troupe St Jean François Régis, cela avançait bien aussi; les Castors et les Aigles avaient terminé leur four. Malheureusement les Pumas, en creusant un des trous pour poser leur table, étaient tombés sur une énorme pierre qui avait nettement retardé leur projet.

 

Le repas de midi, bien que pris en patrouille, se déroula dans la même bonne humeur que le PDDM. Certaines patrouilles purent même étrenner leur table terminée juste à temps pour le repas. Et après une petite sieste, le travail reprit et chacun s'activa à terminer au plus vite qui sa table, qui son four, qui son vaisselier… Au traditionnel CDC de 18h tout semblait bien parti pour l'inauguration du lendemain. Bien sûr il restait quelques branchages à brûler, quelques copeaux à ramasser voire un portique d'entrée ou même un vaisselier à finir, mais tout serait fait dans la matinée suivante. Apparemment le moral dans les patrouilles était encore très bon, mais le repos de cette nuit serait le bienvenu. On décida donc de se contenter d'une courte veillée et tout le monde irait au lit…

V

Samedi 7 juillet


Comme tous les matins, nous nous alignons sur le bord du ruisseau pour la toilette. Il fait beau, il y a du muscle exposé au soleil matinal, on croirait un dessin de Pierre Joubert ! Comme tous les jours il y a de l'eau qui vole un peu partout au pied de la colline, on a tous un peu le nez dans le cours d'eau… quand soudain d'un de nous lève la tête, pointe la colline du doigt et s'écrie :
— Là-bas en face, le truc vert en haut de la colline, ça serait pas notre étendard ?

 

Le Ranch du Loup

Drôle d'idée ! Comment notre étendard, un des biens les plus précieux de la troupe pourrait-il se trouver si loin du camp au milieu de rien ! Pourtant nous devons nous rendre à l'évidence, ce carré de tissus vert qui flotte au vent ressemble vraiment à un étendard. C'est le branle bas de combat, les tee-shirts sont ré-enfilés à la hâte, on attrape ses chaussures d'une main, on traverse en courant le ruisseau et l'ascension de la colline commence. Les plus vaillants arrivent vite mais essoufflés, auprès de l'étendard puisque c'est bien de cela qu'il s'agit ! Comment est-il arrivé là, on en a encore aucune idée. Le temps d'attendre les derniers et nous découvrons des signes de pistes que nous suivons. De cailloux empilés en flèches de branche nous arrivons sur l'autre versant de la colline puis dans une petite grotte dont tout le monde ignorait l'existence. Dans la grotte une feuille de cahier nous attend sous une pierre. Une feuille du même cahier que la lettre des Ayacks, recouverte de la même écriture. Son contenu
est sibyllin :
 

 

Dans la troupe c'est un peu la consternation… se faire voler son étendard, se faire provoquer de la sorte… on commence à douter des intentions de ces Ayacks dont la première lettre nous avait paru presque sympathique. Pour tous il ne fait plus de doute que ces Ayacks sont des scouts campant dans la région. Il faut être scout pour savoir le symbole qui se cache derrière un étendard de troupe ! On ne sait pas si on doit s'inquiéter ou se réjouir d'une future rencontre avec ces Ayacks. Nous nous sentons impuissant car tant que nous ne saurons pas où les trouver nous ne pourrons pas nous amuser aussi… Chacun cherche à se souvenir de ce qu'il aurait pu voir pour faire avancer l'enquête mais à part le souvenir du CP des Panthères rien de bien précis…

Le soir au CDC Henri nous dira qu'il a pris le temps de mener son enquête auprès des commerçants et des propriétaires en faisant les courses, mais personne n'a vu d'autres scouts que nous dans les environs… Bizarre… mais ce midi les installs ont été inaugurées et c'est bien là le principal, le camp peut vraiment commencer ; à nous olympiades, grands jeux, concours de cuisine et autres réjouissances ! Tout le monde est impatient, que les Ayacks nous observent s’ils veulent, ils verront combien nous nous amusons !

 

 

VI

Dimanche 8 juillet


Le camp est vraiment parti ! Cet après-midi c'est tournois de Thèque entre les sept patrouilles des deux troupes. Chez les scouts, la thèque est au base-ball ce que la sioule est au rugby, un sport simple surtout parce que ses règles sont simples, simplistes diront certains. Une bûche taillée en pointe, une balle de tennis, quatre morceaux de tissu pour les bases et c'est parti. Alors forcément on adore. Et si en plus c'est en version tournoi, là c'est la panacée ! Parce que l'émulation entre patrouilles est un ressort essentiel du dynamisme d'une troupe. Et plus pour ce camp c'est encore autre chose… non seulement il faudra battre toutes les patrouilles de la troupe mais en plus il en ira de notre honneur de battre aussi l'autre troupe ! TSJB first ! ! ! (8) Et sept patrouilles sur un même tournoi c'est une mécanique d'horloger suisse ! Il faut trois terrains côte à côte. Six patrouilles s'affrontent deux à deux en parallèle. La septième se repose et les maîtrises des deux troupes se répartissent sur les terrains pour arbitrer. À fréquence régulière on fait tourner tout ça jusqu'à ce que chaque patrouille ait fait ses six matchs…

 

À l'ombre de l'entrée du Kraal, tout proche des terrains les Jaguars reprennent leur souffle en bâtissant la stratégie du prochain match. Pour le Puma il vaudra mieux que le SP batte en premier puis le CP derrière, comme ça on a une chance que les deux finissent leur tour directement, si on marque des points tout de suite on a une chance de leur saper le moral et là c'est dans la poche. L'après-midi est bien entamée, le soleil n'est plus si haut dans le ciel, l'ombre devient plus généreuse, dans quelques temps le tournoi prendra fin, le vainqueur sera auréolé de gloire, l'épreuve donnera des points pour le trophée sport… Un très long coup de corne retentit…

Sur les terrains les éclaireurs s'immobilisent l'oreille à l'affût, les balles qui volaient encore retombent à terre. Un second très long coup se fait entendre. On cherche du regard les maîtrises… elles sont toutes sur le terrain… Qui sonne ainsi ? Un troisième très long coup… Ça n'a aucun sens… chez les scouts un très long coup signifie qu'il faut se mettre en écoute car va venir un des signaux de service en morse… Un quatrième très long coup… Ce n'est donc pas un appel, c'est pourtant le bruit d'une totoche ! Ça vient du côté du lieu de camp de la troupe Saint François Régis peut-être d'un peu plus loin… Un cinquième coup… On se regarde, on se rassemble, on s'organise et d'un coup sept patrouilles courent en direction des coups de corne… On s'écarte les uns des autres pour couvrir davantage de terrain. C'est en forêt, on ne voit pas très loin, c'est confus. six coups, sept coups… On se rapproche… Puis plus de bruit, on n'était pourtant plus très loin… On continue, on court, on s'essouffle, ça monte ! Un cri de scout :
— Par ici !

On se dirige vers le cri, et là, au pied d'un patrouillard… Sept staffs (9), la totoche (10) de troupe… et un mot. Toujours ce cahier, toujours cette écriture, toujours des fautes… C'est une déclaration de guerre ! Pire que nous prendre notre étendard ? Pire que voler à notre barbe nos staffs de patrouille ? Pire que voler au Kraal la totoche alors que nous étions cinquante juste à-côté ? À part voler le mât et partir avec on ne voit pas trop… Et si les Ayacks n'avaient que pour objectif de nous pourrir notre camp ? Sûrement des scouts d'un autre mouvement !

 

Mais comment se battre contre un ennemi invisible ?

 

 

La nuit est limpide
L'étang est sans ride
Dans le ciel splendide
Luit le croissant d'or
Orme chêne ou tremble
Nul arbre ne tremble
Au loin le bois semble
Un géant qui dort

 

 

VII

Lundi 9 juillet


La nuit a apaisé les esprits. Hier la veillée était électrique. On avait envie de parler des Ayacks, de monter des plans, des théories… Chaque bruit devenait suspect. On est parti se coucher mais il a fallu du temps pour que les discussions s'éteignent sous les tentes. Mais le soleil a fini par se lever, et la routine a repris son court. Coup de corne "L" comme lever. Les yeux un peu groggy nous nous dirigeons vers la salle à manger. Quelques patrouillards sont déjà là, discutant mollement. La maîtrise est au complet attendant de pouvoir lancer le dérouillage. Au complet sauf bien sûr Henri qui est parti à l'intendance préparer notre ration du matin. Comme tous les matins, il n'y aura pas de surprise au menu.

 

Cela fait longtemps que la troupe a choisi son menu préféré de PPDM et n'en démord plus. C'est porridge au chocolat. Une recette simple et rapide : des flocons de porridge, du lait chaud, du chocolat en poudre, du sucre. Et la garantie que les estomacs seront rassasiés jusqu'au midi. C'est François un assistant de troupe "Coureur des Bois" qui nous y a initié, il y a un camp d'été de cela et la tradition est restée. Tout le monde est maintenant là, nous partons en trottinant vers le château.

 

 

En chemin nous passons devant l'intendance, une dépendance mise à notre disposition par les propriétaires du lieu. Souvent, sur le retour, Henri attrape un ou deux scouts pour l'aider à rapporter les packs de lait. Mais ce matin à notre vue, Henri sort en hurlant de l'intendance, ses propos sont confus, il bafouille, il crie, il bredouille, il s'agite, un papier à la main :
— Ils l'ont volé, … la bouffe s'est sacré, … on vole pas la bouffe !

Blast finit par le calmer, et parvient à lui prendre la feuille d'écolier qu'il agite. Nous savons déjà de quisera la signature ; c'est la quatrième lettre !

 

 

Henri, lorsqu'il n'est pas en colère après les Ayacks !

Voilà, ils avaient tenu leur promesse, pire que l'étendard, pire que la totoche ou les staffs, ils s'en étaient pris à nos estomacs. Ce matin il n'y aurait pas de PPDM ! Enfin si, bien sûr, Henri prélèverait quelques gâteaux prévus pour le goûter, mais ils auront un goût bien amer, un goût d'humiliation. Et ils se permettaient en plus le culot de nous donner rendez-vous pour leur prochaine action ! Comme ils étaient sûrs d'eux ! Mais se présentait enfin une occasion de les voir.

 

Le temps que ce PPDM de fortune soit avalé, un CDC extraordinaire est réuni. Exceptionnellement, la haute patrouille des deux troupes est rassemblée. Un seul sujet à l'ordre du jour : les Ayacks ! Blast et Christophe nous expliquent que le lendemain devait être consacré aux olympiades. Un choix se pose à nous : soit nous différons ces olympiades et répondons à la provocation soit nous continuons notre camp comme si de rien n'était, ne mettant pas l'étendard à l'heure dite au pied du mât, empêchant peut-être ainsi aux Ayacks de commettre un nouveau forfait … nous empêchant probablement de les voir enfin à visage découvert !

Pour tout dire le débat a été très vite tranché !

VIII

Mardi 10 juillet


La veille le CDC extraordinaire a pris sa décision. Elle était évidente. Il fallait en finir avec ce mystère, voir enfin le visage de notre ennemi invisible. Et le plus vite possible car le lendemain commençaient les raids de patrouille, un moment phare du camp. On avait décalé les olympiades, on n’allait pas toucher au raid de patrouille !Il faut dire qu’en 1990 un raid de patrouille c’était une véritable aventure. On partait sans savoir où l’on dormirait le soir, ni qui la providence mettrait sur notre chemin.

 

Je me souviens encore de ce moment mémorable où j’étais cul de pat dans la patrouille du Cerf. À cette époque mon grand frère était CP du Jaguar. Nous campions dans les Alpes mancelles. Les patrouilles du Cerf et du Jaguar s’étaient croisées par hasard dans leur raid et avaient décidé de faire un petit morceau de chemin ensemble. Mais à force de marcher, les gourdes de cette quinzaine de scouts étaient quasiment toutes vides. Comme à l’accoutumée, nous nous étions donc arrêtés à la première ferme en vue pour demander un accès à un robinet histoire de refaire les réserves. On secoue la cloche du portillon, une dame un peu forte traverse la cour et nous demande ce qu’on veut:
— Bonjour madame, on voudrait de l’eau pour nos gourdes.
— Vous voulez pas p’utôt du cit’ ?

Pour ne pas vexer, on dit oui, pourquoi pas du « cit’ »…

Quelques gars prennent toutes les gourdes pour ne pas envahir la cour et suivent la dame. Un fini par revenir une gourde dans chaque main et nous dit tout émoustillé :
— C’est du Cidre !

On n’en croit pas nos yeux ! On goûte pour vérifier. Oui c’est bien du cidre… mais du cidre maison ! Du cidre de campagne ! Du brut de chez brut ! On se fait passer les gourdes, on les vide, le gars repart avec. Un autre revient, on vide encore les gourdes.. Après quelques allers retours et pour ne pas éveiller l’attention, on s’arrête et on repart les gourdes pleines de cidre!

Alors forcément le raid de patrouille – deux jours sans les chefs – c’est une usine à souvenirs !


Impossible de se faire enquiquiner par des Ayacks ! Il faut régler leur sort avant ! Le CDC, en plus de décider de relever le défi qui nous était lancé, a aussi décidé d’une stratégie. D’abord nous nous tiendrons prêt bien avant 16h pour être sûr de ne pas se faire surprendre. Ensuite nous devons être vraiment certains que quelle que soit la manière dont tourneront les évènements l’étendard restera en notre possession. Il est donc prévu que quatre chefs restent tout l’après midi au pied du mât avec l’étendard. Et le mât est au milieu de la prairie, impossible de s’en approcher sans être vu!

 

Pour ce qui est des scouts ils sont répartis en trois équipes chacune avec un chef. Chaque équipe est positionnée au niveau des trois accès possibles au camp, en lisière, pour ne pas être vu. Les forces ont été équilibrées dans les trois équipes. On ne sait pas exactement ce qui nous attend, il faudra peut-être courir, peut être se battre. La lettre ne donne aucune consigne. On aurait pu attendre de scouts qu’ils nous disent « mettez tous votre foulard de vie à la ceinture on règlera ça à la loyale dans les règles de la prise de foulard ». Mais rien de ça ! Alors on ira à l’intuition, on essaiera de ne blesser personne… mais on a la rage au ventre. Nous voulons être certains de les intercepter au plus tôt pour les empêcher d’atteindre la prairie et d’avoir l’étendard en vue. Nous surveillons le chemin. Dos au mât. De toute façon le chef qui est avec nous nous a redit qu’un autre des deux groupes avait à charge la surveillance du mât. À la moindre alerte, les CP sont chargés de donner du sifflet sans interruption ! Et la totoche est avec les chefs qui sont au pied du mât, là aussi pour nous alerter de tout danger. Le dispositif s’est mis en place très discrètement. Chacun connaissait son groupe et le lieu qu’il devait rejoindre. Si des Ayacks nous observait tout ce qu’ils avaient du voir c’était une vie de camp banale : des allers retours dans la prairie, dans les bois et puis l’air de rien plus personne dans la prairie hormis quatre chefs entassés autour du mât. Impossible pour eux de savoir exactement où nous nous étions rassemblé…

 

 

IX

Il n’y avait plus qu’à attendre. Quatre heures approchait doucement, les minutes semblaient des heures… Soudain un très long coup de corne ! C’est la totoche, le signal des chefs du mât! Les Ayacks n’ont pas choisi le côté que nous guettons pour arriver ! Nous courrons vers le mât. Ce que nous voyons au loin est étrange… il n’y a personne d’autre que les chefs au pied du mât, trois sont ficelés au poteau, le quatrième a posé la totoche pour essayer de les détacher, il leur a déjà retiré leur bâillon qui tombe sur leur poitrail. D’ici on ne voit pas l’étendard… Nous sommes la deuxième équipe à arriver sur place, la troisième n’est plus très loin. Au pied du mât une évidence s’impose: l’étendard n’est plus là ! Et aussi loin que l’on puisse voir, pas un Ayack en vue ! Tous les chefs sont maintenant détachés. Blast et Christophe partent encourant vers la rivière, une poignée de gars tente de les suivre, ils sont probablement sur la piste des Ayacks ! Mais Blast et Christophe ne prennent pas la même direction. On les hèle, on demande des explications. Henri, qui a complément retiré le tissu avec lequel il avait manifestement été bâillonné, est encore plus hystérique que la veille. Blast et Christophe reviennent sur leur pas, de toute façon ils ne savaient pas vraiment dans quel sens démarrer la poursuite ! Les quatre parlent en même temps, ajouté à la crise de panique d’Henri c’est un peu dur à suivre.

 

On comprend qu’ils étaient nombreux. Au moins dix... "Plus que ça!" dit Henri ! Ils sont costauds, peut-être 16 ans, peut être 18, peut être plus. Mais il y avait aussi des plus jeunes, enfin pas sûr, tout le monde ne dit pas la même chose. Ils sont partis vers la colline où on a retrouvé l’étendard la première fois. Impossible on les verrait encore réfute un chef. On a perdu du temps à se détacher et retirer les bâillons précise un dernier alors c’est possible. De toutes façons je pense qu’ils sont partis en longeant le ruisseau. Mais on ne les voit pas non plus dans cette direction. Ils ne sont pas non plus partis là où étaient postées les équipes : ont les aurait croisés sinon.

 

Blast

Bref personne ne sait rien il n’y a personne en vue et on a sûrement trop de retard. Abasourdis, on ne lance même pas de battue dans une des directions possibles… manifestement ils connaissent le coin bien mieux que nous. Mais comment a-t-on pu se faire avoir de la sorte. Personne ne les a vus approcher du mât ? Les chefs disent qu’ils ont surgi du bosquet des Panthères, ont récupéré de suite la totoche et en rien de temps les ont ligotés. Mais les autres équipes? Personne ne regardait du côté du mât pour donner l’alerte ? Et bien non ! Curieusement chaque équipe surveillait son chemin, dos au mât, persuadée qu’une autre des équipes avait à charge la surveillance du mât ! Il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer… et bien sûr une lettre clouée au mât par un couteau !

 

Sauf que nous, dans la nuit de mercredi à jeudi, nous devions être en raid de patrouille ! Ce camp tournait vraiment à la catastrophe…

 

 

 

 

X

Mercredi 11 juillet


Le CDC de la veille a donc été consacré en partie à dresser l’itinéraire pour Cercles. Car si nous avons cru un instant à une énigme cachée derrière « Le vieux cimetière de Cercles », nous avons vite appris que Cercles est bien un village des alentours à une bonne quinzaine de kilomètres. Les propriétaires du lieu ont même été invités à la réunion pour nous conseiller sur le meilleur itinéraire à la fois le plus court et le plus agréable possible pour marcher. Le raid de patrouille a été annulé, alors si à la place ce raid de troupe forcé peut nous faire découvrir de beaux paysages ça ne sera pas un mal! Le seul avantage dans l’affaire c’est qu’Henri avait prévu une intendance facile à emporter dans les sacs pour deux jours de raids de patrouille, elle est donc tout à fait appropriée pour les nouvelles circonstances.

 

Nous prenons donc la route dans la matinée. Tout le monde s’est mis en uniforme impeccable. C’est la règle quand on sort du camp… Les sacs sont légers, une tenue pour la nuit, des sous vêtements pour le lendemain, la nourriture est répartie entre les éclaireurs. Pas besoin de tentes, les propriétaires ont su qui appeler dans l’urgence pour nous autoriser à dormir dans l’église de Cercles. D’après la carte elle est juste à côté du vieux cimetière, c’est idéal… on ne peut pas toujours manquer de chance ! Il fait beau, c’est l’occasion de discuter en marchant, les groupes se font et se défont, parfois les CP se regroupent pour parler « entre grand » parfois les patrouilles se reconstituent. Finalement la ballade est agréable, il faut dire que la région est magnifique. Les propriétaires nous ont suggéré de passer par l’ancienne voie postale romaine Verteillac-Nontron qui, une fois que nous l’aurons rejoint nous mènera directement à Cercles en évitant tous les grands axes. En fait de voie romaine il s’agit la plupart du temps d’un chemin de campagne avec ornières et parfaitement rectiligne sur certains tronçons. Sans cette information nous n’aurions pas pu conclure seuls à son grand âge.

 

Nous marchons sur un de ces passages en ligne droite quand nous voyons au loin un randonneur se diriger vers nous. Nous mettons plusieurs minutes à nous croiser. Arrivé à notre niveau il s’arrête. Il s’agit d’un jeune homme d’une vingtaine d’année. Sac au dos, une carte à la main, il nous demande :
— Vous n’auriez pas de l’eau ?

Bien sûr la politesse scoute nous fait lui tendre rapidement une gourde pleine d’eau. Il s’abreuve puis ajoute en nous tendant sa carte :
— On est où exactement là ?
Là aussi nous le renseignons avec précision. Il nous remercie et avant de reprendre la route il ajoute:

— Et vous allez où ?
 

 

Les réponses deviennent très vagues…
— En Raid on ne sait jamais exactement où on va. On va suivre encore un peu ce chemin et après on verra… bonne journée monsieur !

Chacun repart en sens opposé en marchant sans un mot. Lorsque l’on est vraiment sûr de ne plus être à portée de voix, les conversations reprennent, enflammées :
— C’est un Ayack ! C’est certain !
— Ouais ! Sinon pourquoi il aurait voulu savoir où on allait ?
— Et le gars qui part en rando sans gourde c’est quand même louche non ?
— Sans compter qu’il sait pas lire une carte ! C’est pas un randonneur ce gars !
— Sûr ! C’est un Ayack ! Ils ont envoyé un espion pour savoir si on allait bien au rendez- vous.

Pour savoir dans combien de temps on sera là ! On se retourne discrètement. Le jeune homme au loin continu sa route sans se retourner. On décide d’en rester là, de ne pas faire demi-tour… et après tout si ça n’était pas un Ayack ? On aurait l’air malin ! Mais quand même, il était vraiment louche ce type !

 

 

Si on en croise un autre du même genre on lui fera sa fête ! Pour le pique-nique du midi on s’installe près de la «grotte des voleurs », le long de la voie romaine. Un truc de fou cette grotte. Par un chemin caché sous les buissons, on entre dans un couloir taillé dans la colline au bout de ce petit couloir une petite pièce taillée dans la roche et une meurtrière taillée dans la paroi avec vue sur la vallée. Il parait que son nom vient du fait qu’elle servait de cache et de lieu de surveillance aux brigands du coin. Sûr qu’on ne l’aurait pas trouvée seul si les proprios ne nous avaient pas donné l’info !

XI

Une fois rassasiés, nous nous remettons en route. En fin d’après midi nous arrivons à Cercles. Comme prévu, l’église est ouverte. Nous faisons une reconnaissance des lieux mais il n’y a pas grand-chose à voir.

 

 

Cercles est un tout petit village d’à peine quelques maisons. Rien de spécial non plus dans le vieux cimetière qui compte quelques tombes anciennes éparses au milieu d’une pelouse… Mais pourquoi s’en étonner ? Le rendez-vous a été fixé dans la nuit, il est normal que notre ennemi invisible ne soit pas encore là. Alors on investit l’église. On dîne d’un nouveau repas froid et on se prépare pour la nuit…

 

Nous avons repéré qu’il est possible de monter au clocher de l’église. Il est exigu mais de là on a une vue parfaite sur le village et surtout sur le cimetière. Notre plan est rapidement élaboré : Tout d’abord hors de question de dormir avant la rencontre ! Même si on ne sait pas exactement l’heure ! Le gros de la troupe sera allongé tout habillé, sans bruit, prêt à bondir ! Les CP seront en vigie dans le clocher et les SP (11) feront la navette avec le clocher pour indiquer à ceux d’en bas ce qui se passe. Notre idée est de les laisser entrer dans le cimetière puis de se déployer tout autour pour le prendre d’assaut. Le cimetière est entouré d’un grand mur: la fuite sera impossible. Pour une fois c’est eux qui se jetteront dans le piège ! On veut jouer la surprise totale. La consigne est très claire, on sortira en silence et sans lampe de poche ! Dans le clocher nous installons notre tour de garde. Je suis de la partie. Il y a en permanence quatre paires d’yeux dans les quatre directions du clocher.

 

La nuit tombe lentement sur le cimetière. On ne s’attendait pas à ce qu’ils agissent de jour, l’hypothèse se confirme… l’attente est longue… régulièrement les SP vérifient que personne ne s’endort. Le silence est pesant… le village semble totalement endormi… Puis une très faible lueur apparaît. La lueur vacillante d’une bougie qui avance sur la route. Elle se dirige vers le cimetière. Une alerte discrète est donnée en bas. Chacun est prêt à se lever. La lumière entre dans le cimetière. À cette distance on commence à apercevoir celui qui la porte. La stature d’un homme de la taille de celui croisé sur le chemin mais comme drapé dans une toge ou une grande robe. Il a quelque chose aussi sur sa tête… un chapeau ? Un tissu ? Un bonnet pointu ? ? ? Il pose sa bougie sur une tombe puis repart. Ça murmure dans l’église… que fait-on. Rien ! On n’a pas identifié l’étendard – on est quand même venu pour ça – et on sait que les Ayacks sont bien plus nombreux que cela ! Il faut les laisser tous entrer dans la nasse avant de se démasquer… De toute façon on n’a pas longtemps à attendre. De la même direction arrivent cette fois deux bougies. Même chemin, même stature, même tenue, même cérémonial… d’où nous sommes, on pourrait y voir comme une cérémonie du Ku Klux Klan. Personne n’est vraiment rassuré. Et si l’adversaire était vraiment de taille ? Nous avons des gosses de 12 ans avec nous quand même ! Le bal des bougies continue. Il y a parfois deux, parfois trois personnes, jamais plus. Chacun dépose sa bougie sur la tombe. Les bougies comment à former un dessin… une croix? Une croix scoute ? Mais on veut tous les attraper ! Et on veut notre étendard… alors on attend… Sauf qu’au bout d’un moment plus personne ne vient au cimetière. Aurait-on trop attendu ? Pourtant sur la route d’où sont venu les Ayacks on voit encore des lueurs. Mais elles ne bougent plus… elles dessinent un chemin à travers le village… Nous allons finir par être ridicules ! Nous sortons, comme prévu en silence et sans lumière.

 

 

 

Une fois le tour du cimetière fait et constaté qu’il n’y avait rien à voir là, nous n’avons qu’une option, suivre le chemin de bougie en bougie et voir où ça nous mène. Nous optons rapidement pour une avance en accordéon. Un groupe de CP est devant, il part en éclaireur sur quelques dizaines de mètre puis fait signe au reste de la troupe qu’elle peut avancer. À l’arrière un autre groupe de CP fait la voiture-balai et s’assure que personne ne s’échappe de la file, tout en surveillant les arrières au cas où … Le chemin de bougie nous mène hors du village, dans un chemin de terre. Puis nous arrivons à ce que nous devinons être l’entrée d’une ancienne carrière. Le chemin de bougies continue clairement à l’intérieur. Nous poursuivons… nous n’avons probablement jamais été si près de ces Ayacks !

 

Dans le noir et en ne suivant qu’un chemin de bougie de loin en loin nous avons l’impression que cette galerie est un labyrinthe… Je suis dans le groupe des CP de queue. Nous ne sommes pas plus rassurés que les autres. Voir même moins, car cela fait un moment que nous avons l’impression que les bougies s’éteignent derrière nous au fur et à mesure que nous avançons. Est-ce juste des virages qui nous les cachent ou est-ce une réalité? Nous ne voulons inquiéter personne et de toute façon nous n’avons pas envie de nous détacher du groupe pour aller vérifier ! Impossible de savoir si nous marchons dans cette galerie depuis une minute ou depuis un quart d’heure, nous avons perdu nos repères, les cœurs battent bien plus vite qu’au rythme des secondes ! La galerie semble s’élargir. Il y a une impression d’air, de volume, on a l’impression d’être dans une grande salle. Mais ce qui domine maintenant c’est surtout cette horrible odeur d’alcool à brûler et la certitude que, oui, effectivement, il n’y a plus une seule bougie allumée aux alentours, ni devant, ni derrière. 

 

 

XII

— Messieurs, vous ne pouvez plus sortir, vous êtes piégés !

La voix est gutturale, elle résonne dans la salle. Plus un scout ne bouge, à peine s’est-on retourné vers l’endroit d’où la voix semble provenir. Un frottement, une allumette qui s’allume, puis une deuxième et enfin deux feux de bois qui s’embrasent presque instantanément. Les feux sont sur une sorte d’estrade taillée dans la roche. Au centre, adossé au mur, notre étendard, de chaque côté deux silhouettes. Nos yeux mettent un peu de temps à s’habituer à la lumière et puis il faut nous rendre à l’évidence, sur l’estrade monsieur et madame Allard, les propriétaires du terrain où nous campons nous toisent, tentant de garder un air sérieux.

...Tout le monde comprend enfin que notre grand jeu du camp vient de se terminer ici. Un grand jeu qui aura duré une semaine ! Un truc qui n’arrive qu’une fois dans une vie de scout!

 

J’avais pourtant 16 ans et je me suis laissé berner comme un gosse !

 

Fin



[Quelques extraits d'annotations que Chelmi a parsemées au fil de son récit] :


[…] mille merci à Françoise pour ses illustrations qui illustrent fort bien mes propos ! […]
[…] quand on pense que tout cela n'est que le récit banal d'une histoire vraie ! […] […] Au passage re-localiser tout cela m'a demandé un peu de recherches ! je n'avais pour seul souvenir que la tête de l'église et du cimetière, le fait qu'on eût emprunté une voie romaine, cette grotte des voleurs (mais que je n'ai pas réussi à re-localiser) et bien sûr notre lieu de départ (et une idée de son éloignement du lieu de rendez-vous). Je pense donc ne pas m'être trop trompé (les photos trouvées sur Internet correspondent à mon souvenir !) ! […] […] Nous aurons probablement la visite du CP du Loup sur ce forum (il m'a dit qu'il passerait lire !) […]

Bonjour
Je me permets de débouler dans cette histoire, étant très concerné…vous comprendrez pourquoi plus tard. La patrouille du Loup campait en effet dans un ranch. Nous avions l'habitude de voir les choses en grand. D'ailleurs merci beaucoup à Chelmi d'avoir gardé la mémoire de cette aventure fantastique. Merci aussi pour les photos. La balade vers Cercles fut en effet magnifique. La région offrait de d'agréables distractions naturelles, des rochers à escalader et une piste à suivre. Je me souviens, en tout cas, avoir été particulièrement énervé de ces vols à répétition et
des dérangements nocturnes. Le CP du Loup tient à son sommeil… Nous étions à lapoursuite de 'on ne savait pas quoi'. Les CP n'étaient pas plus rassurés que les autres. On discutait les hypothèses et échangeait nos informations. Se faire sucrer un raid de patrouille pour un raid forcé en troupe était un peu dur…. J'attends la suite…. (Le Loup)

[…] Merci à Thibault, CP du Loup de l'histoire d'être venu se remémorer ces ouvenirs avec nous ! J'espère qu'Henri, l'intendant, prendra aussi le temps de faire un petit coucou ! […]

 

1) CP = Chef de Patrouille 
2) Kraal = Lieu de campement de la maitrise, on n'y entre que sur invitation 
3) CDC = Conseil Des Chefs, qui rassemble la maitrise de troupe et l'ensemble des CP 
4) Patrouillard = membre lambda de la patrouille 
5) Maitrise = le chef de troupe et ses assistants 
6) CT = Chef de Troupe 
7) PDDM = Petit Dejeuner Du Matin (il se peut qu'il s'agisse d'une abréviation à usage très loca!) Ndlr: pas du tout! ce terme est notamment entendu dans le film "Scout toujours..." et mentionné dans les lexiques sur le Web
8) TSJB = Troupe Saint Jean Baptiste (donc à usage très local !) 
9) Staff = petit drapeau de forme triangulaire aux couleurs de la patrouille et à son effigie 
10) Totoche : corne d'appel 
11) SP = Second de Patrouille, sorte d'assistant du CP



17/03/2011
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